La maison qui passait par là d'Abdelkader Djemaï
Ce livre publié chez La Dragonne se trouvait depuis un moment déjà sur ma PAL, et a pour particularité de se composer de textes et d'illustrations d'Emmanuel Antoine. Il raconte les instants qui précèdent un tremblement de terre dans une petite ville d'Algérie: le héros Sandjas s'apprêtait à avouer ses sentiments à Assia une jeune femme inaccessible, peut-être et surtout parce qu'elle est l'incarnation d'un idéal plus que d'une réalité. Cette quête de l'amour impossible est l'occasion pour le narrateur de dresser un tableau poétique et social de l'Algérie, d'évoquer les paysages et sensations qui ont marqué son enfance et sa vie qui s'achève brutalement sous les décombres du tremblement de terre.
Ce livre pudique mais aux couleurs multiples touche par la finesse et la délicatesse de ses évocations poétiques. L'histoire est simple et universelle mais peuplée d'images qui interpellent le lecteur. Je vous en livre ici un court extrait:
La cohue vive des bruits, les fêlures du ciel le rattacheraient à la ville, à ses ondoiements. Du haut de la cuvette, il pourrait se remémorer la ligne discontinue des toits, se souvenir de ses boules de sons, de leur choc à ses oreilles. Par une surprise violente, il se révèlerait à elle, à leur dissonance, friture ou fracas. Il lui suffira d'accepter leur intrusion, leur hégémonie pour s'accrocher à un fragment de rue, à une agitation humaine, une couleur. Quelque chose comme des coups portés sur son crâne, un égouttement d'eau qui vrillerait son cerveau, l'éveillerait à sa propre existence, à la douleur révélatrice, à une logique apparente: quelque chose comme des cailloux aigus qui fleuriraient dans son corps, des cailloux aux arrêtes translucides, tranchantes, liés au pouvoir oppressif et rugueux du séisme. En sa rare sérénité, il souhaitait être le témoin des épousailles du feu et de l'eau, de la pierre et du vent. Témoin inapte à se préserver de l'érosion de la passion, car déjà corrodé jusque dans ses os. Un instant d'éternité où la mémoire se consume à traquer ses propres ombres, à retrouver le tintement des bracelets pour que le monde continue d'exister.